charlotte

Je vous propose aujourd’hui de rencontrer Charlotte,
passionnée depuis toujours par son travail et maman maternante d’Anna, 3 ans.
Elle se livre sur la maternité et nous raconte pourquoi et comment
elle est parvenue à concilier maternage proximal et poste à responsabilités
malgré un environnement professionnel pas très bienveillant …

 

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis Charlotte, 31 ans, docteur en éthologie, c’est à dire chercheur sur le comportement des animaux. Mais je suis surtout la maman d’Anna, qui a maintenant 3 ans. Nous vivons son père, elle et moi dans une petite maison, entourés d’une grande famille : nous partageons notre quotidien avec 4 chiens, 3 chats, et sans oublier Konrad, le poisson rouge (qui tient son nom de Konrad Lorenz, le fondateur de l’éthologie !).

Ma vie, mis à part ma famille, c’est mon travail. C’est bien plus qu’un travail, c’est une passion en fait, qui rythme mon quotidien. Je suis spécialisée dans l’étude du comportement des chiens, plus particulièrement des interactions entre les humains et les chiens. Je parle chien, je dors chien, je vis chien ! Entre les études que je conduis, l’encadrement de stagiaires, les conférences ou séminaires que je donne, les cours également, l’écriture d’articles scientifiques et d’articles pour le grand public, l’écriture de chapitre de livres, ou les lectures sur l’éthologie, je suis comblée !

 

Avant d’avoir des enfants, quelle maman envisageais-tu que tu serais ?

Les seules attentes que j’avais étaient sur mes méthodes d’éducation. De par mon métier de biologiste, de chercheur en comportement, je me base sur mes connaissances en mécanismes d’apprentissage, et sur toutes les connaissances actuelles en cognition et neurosciences.

Etre une maman patiente, dans l’accueil des émotions, verbaliser toujours tout, écouter ma fille et la respecter en tant que personne, aller à son rythme. Nous sommes des primates, alors il était évident pour moi de faire ce qu’on appelle du maternage, le combo allaitement + cododo + portage. Et ne jamais la laisser pleurer, lui expliquer les choses, accepter ses émotions, la guider pour les reconnaître et les accepter, pour l’aider à avoir confiance en elle avant toute chose. Eviter le sexisme. Eviter de nier ses expériences de vie, pas de « ce n’est rien » ni de « ce n’est pas grave » et encore moins de « arrête » mais toujours des « je comprends que tu aies peur /mal/que tu sois en colère » etc, etc.  Pour le reste, je me suis toujours dit que ma fille me guiderait autant que je la guiderais, un voyage ensemble dans la découverte de cette vie de famille. Je fais beaucoup de méditation, et cela m’a aidé à être sereine.

charlotte

 

Et à quoi ressemblait ton quotidien alors ?

Je dédiais tout mon temps à mon travail et à mes chiens bien sûr, car mon travail c’était (et c’est toujours) ma vie. Je me sentais en harmonie totale dans ma vie, avec le travail de mes rêves. Je pense que c’est le fait d’être si sereine qui a fait qu’Anna est arrivée.

 

Avais-tu craint les réactions de ton entourage professionnel avant l’annonce de ta grossesse ?

Non, pas du tout. Même si totalement inattendu, c’était pour moi une si bonne nouvelle, que je ne pensais qu’à la partager autour de moi. Je ne me rendais pas compte que cela allait parfois être si mal reçu.

 

Comment tes collègues et supérieurs hiérarchiques ont-ils réagi lorsque tu leur as annoncé que tu étais enceinte ?

Globalement, officiellement, bien. La majorité des personnes autour de moi ont dit être heureuses. Cependant, il m’a été vivement recommandé de « bien réfléchir », et l’on m’a plusieurs fois demandé si je ne souhaitais pas « avorter pour ne pas gâcher ma carrière ». C’est vraiment choquant de s’entendre demander cela, car les mêmes questions ne sont jamais posées lorsque les chercheurs hommes disent que leur compagne est enceinte, ou qu’ils vont avoir un enfant avec leur compagnon. C’est une discrimination à laquelle je ne m’attendais pas, et qui m’a d’autant plus fait douter, et mal.

 

Quand es-tu partie et revenue de congé maternité ?

J’ai travaillé toute ma grossesse. Au début, je continuais les tests et donc je faisais beaucoup de travail physique. Je me suis épuisée et j’ai été en arrêt à 7 mois de grossesse, mais j’ai continué à travailler tous les jours. Je continuais, allongée dans mon lit, à travailler. J’ai principalement fait des analyses vidéos, des analyses statistiques, de la rédaction d’articles scientifiques, la soumission des articles dans des revues internationales, et la soumission des résultats pour les présenter en conférences. Bien sûr, j’avais aussi des moments de repos pour m’aider à préparer l’arrivée de ma fille, je vous rassure !

J’ai repris à la fin de mon congé maternité, directement. Seulement, il était inenvisageable pour moi, déjà car ma fille a des soucis de santé, et ensuite quand on sait l’importance du maternage proximal pendant les premières années de vie d’un enfant, de la mettre à garder, quel que soit le mode de garde. Et je n’avais aucune famille à proximité pour m’aider au quotidien. Alors j’ai pris la décision de la garder avec moi à la maison, tout en travaillant à temps plein. Et surtout, pour « faire mes preuves » comme on me l’a dit, j’ai mis un point d’honneur à continuer à travailler toujours autant, si ce n’est même plus qu’avant.

 

Comment t’organises-tu au quotidien pour concilier vie de maman et vie professionnelle ?

Les débuts étaient les plus simples, car Anna dormait beaucoup, ou pouvait rester allongée près de moi. J’avais une règle absolue : priorité à ma fille. Si elle avait besoin de moi, j’arrêtais immédiatement de travailler, quoi que je sois en train de faire. C’est la base des mécanismes d’apprentissages, contrairement à beaucoup d’idées reçues. Je suis partie sur ce constat : si elle apprend que quoiqu’il se passe, quand elle a besoin de mon attention, je suis toujours là pour répondre à ses besoins, son état émotionnel est apaisé, ses besoins sont comblés. Et ainsi, les périodes sans avoir besoin de moi commencent progressivement à s’allonger régulièrement. Alors qu’un enfant qui n’a pas ses besoins en attention satisfaits, va en demander quasi continuellement. C’est un principe de base en éthologie : satisfaire les besoins d’un individu, pour qu’il n’ait pas à trouver des stratégies comportementales pour les satisfaire autrement. Après, ce sont mes/nos choix d’éducation, et je m’y suis toujours tenue. Du coup, très rapidement, je me retrouvais à pouvoir travailler 30 minutes sans être interrompue, puis 1h, etc, etc. Et puis je travaillais par terre, près d’elle, ou alors dans le lit avec elle, nous variions les pièces pour qu’elle puisse s’intéresser à son environnement. Parfois elle avait de la musique, ou je lui montrais une bouteille pleine d’eau (je la tenais d’une main et tapais à l’ordinateur de l’autre !), elle pouvait regarder les reflets et les mouvements de l’eau pendant de longues minutes, ça la passionnait ! Il faut dire que la concentration n’est pas un souci pour moi, ce qui a été un atout pour cette situation.

J’ai eu de la chance de ne pas avoir d’observations sur le terrain ni de conférences les 8 premiers mois de sa vie. Donc j’ai pu être très efficace dans mon travail, tout en ayant le rôle de maman que je souhaitais.

Ensuite, quand il a fallu retourner sur le terrain, ou à l’international lors de congrès, j’ai eu l’aide la plus inestimable : mon mari ! Autant que possible, je faisais mes observations le week-end, comme ça il me suivait, et il pouvait garder notre fille et l’amener entre les observations pour les tétées. Lorsque je ne pouvais pas faire autrement que d’avoir des observations en semaine, il posait alors une journée de congé pour m’accompagner. Lors des congrès internationaux, comme au début je ne pouvais/souhaitais pas laisser ma fille plusieurs jours, mon mari posait là encore des jours de congés, et m’accompagnait. Il venait me voir lors des pauses pour que ma fille puisse téter si besoin. Quand elle était petite, c’était très souvent, puis à force qu’elle comprenne le principe, je n’avais plus besoin de la faire téter qu’entre midi et deux, puis ensuite que le soir après la journée de conférence. Il y a eu plusieurs fois où il m’a même encouragé à faire des conférences avec elle en portage ! Ce sont parmi les plus beaux souvenirs de ma vie. Je me souviens d’une conférence devant environ 200 personnes, au début de ma présentation, Anna ne dormait pas encore, et elle a même dû gazouiller une ou deux fois dans le micro. Puis j’étais tellement sereine dans cet exercice que j’adore, que bercée par les paroles et les déplacements, elle s’est endormie. C’était inoubliable ! Je ne remercierai jamais assez mon mari de m’avoir permis de continuer ainsi ma carrière, car il a su comprendre son importance pour moi, et car il a toujours respecté, et même participé activement dans ces choix de maternage.

carriere-et-maternage

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Maintenant qu’Anna est plus grande, elle ne vient plus en congrès avec moi, je pars parfois 5 ou 6 jours sans elle, et tout se passe bien. Nous faisons des appels vidéos chaque jour, elle me demande « maman, c’était bien ton travail ? ». Lorsque je ne suis pas en déplacement, j’ai la chance de travailler principalement de chez moi. Souvent Anna fait des jeux de construction, joue avec ses peluches ou dessine pendant que je travaille, mais la règle selon laquelle elle est la priorité reste toujours d’actualité. Je peux aussi lui expliquer que j’ai compris qu’elle a besoin de moi, mais que je dois terminer quelque chose d’abord. Elle me laisse de grandes plages de travail, ou lorsque je suis en vidéo conférence avec des collègues chercheurs, elle a l’habitude et s’installe pour lire pendant ce temps, parfois une ou deux heures.

Mais ce qu’elle aime plus encore, cela reste quand je pars au travail et qu’elle peut m’accompagner. C’est rare, mais certaines études le permettent. Dans ces cas-là elle aide à la préparation, dit bonjour aux chiens, puis m’attend sagement à l’écart pendant les observations.  Sinon, comme elle est maintenant à la crèche trois jours par semaine, je fais mon travail à l’ordinateur les jours où elle est avec moi, et les observations en extérieur quand elle est à la crèche. Ce qui me fait rire, c’est que parfois, maintenant, quand elle joue tranquille, si je lui parle, elle me dit « je joue maman, tu peux retourner faire ton travail » ! L’année prochaine elle va commencer l’école, et j’aurai un quotidien plus reposant. Mais ces 3 années, je ne les regrette pas, j’en suis fière, et je ne les changerais pour rien au monde !

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Que dois-tu affronter au quotidien pour être la maman maternante que tu souhaites rester ?

J’ai refusé de choisir entre le maternage et ma carrière, malgré les difficultés d’organisation, le regard des autres, la pression, les incompréhensions. Vivre ces deux vies là, dans une seule journée, c’est épuisant, et je pense que ça reste le plus difficile. Rester calme et patiente, quand ma fille pleure mais que je dois rendre un article pour dans une heure. Ne pas lui faire payer la pression que je subis, ne pas être énervée et injuste envers elle car ce sont mes choix. Il y a eu quelques ratés, car personne n’est parfait, mais je suis heureuse de m’être toujours tenue à ma ligne de conduite. Je garde toujours le moral, car elle est ma priorité.

Le plus difficile, c’est la suite de ma carrière. Elle va entrer à l’école, et j’ai choisi de la scolariser et de ne pas la faire déménager au gré de mes contrats, déplacements, etc. Alors j’ai dû renoncer à certains postes, et pour trouver de futurs emplois, il me faut trouver des personnes qui acceptent que je reste principalement à mon domicile, et que je me déplace régulièrement sur de courtes périodes (pour le moment pas plus d’une semaine d’affilée, mais cela augmentera progressivement) pour des réunions, conférences, observations. Peu de gens le comprennent, surtout dans le monde de la recherche. Je fais le choix de la stabilité pour ma fille, qu’elle ait une maison principale, un repère, pour compenser les nombreuses fois où nous allons voyager pour les conférences, et les autres fois où je serai absente pour mes observations. Une personne m’a dit il y a peu « ta famille est un poids, jamais personne ne voudra travailler avec toi dans ces conditions ». Ces mots m’ont brisée, et j’ai eu du mal à m’en remettre. Est-ce que je ne fais pas une erreur ? Fais-je le bon choix ? Dois-je renoncer à toute ma carrière ? Ou dois-je emmener ma fille partout avec moi (sachant qu’elle a des soucis de santé et nécessite un suivi régulier par sa chirurgienne) … Après plusieurs mois de doutes, qui m’ont beaucoup bloquée, je commence à me relever et à me dire que faire passer la stabilité de sa famille en priorité ne peut pas être une erreur.

Je suis féministe dans le sens où je refuse l’inégalité des droits homme/femme, et où je pense que la carrière professionnelle d’une femme a tout autant d’importance que celle d’un homme. Mais je ne renie pas notre nature de primates, et l’importance capitale du rôle d’une maman lorsqu’elle peut le jouer. Je ne ferai pas passer mon bien-être avant celui de ma fille. Mais je ne veux pas non plus renoncer à mon bien-être, à mon épanouissement professionnel. Alors je vais concilier les deux, et je vais y arriver. Je trouverai des personnes bienveillantes, qui acceptent et comprennent ces choix-là, même si cela ne rentre pas dans les cases habituelles de la recherche (ou des autres professions en général) : s’il faut créer de nouvelles cases, je le ferai ! Je continue à travailler toujours aussi ardemment, avec dévotion, et plus important encore, avec passion.

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Contrairement à ce que certains pensaient, ma fille n’est pas un handicap pour mon travail, pour ma carrière, bien au contraire ! Elle est ma plus grande force. Elle m’apprend la patience, la persévérance, me donne l’amour et la force nécessaire pour me ressourcer, la confiance dont je manque parfois dans les moments difficiles. Elle donne encore plus de sens à ma vie, me permettant de devenir chaque jour qui passe une meilleure chercheuse, une meilleure maman, une meilleure personne.

charlotte

 

Quels conseils souhaiterais-tu donner aux femmes qui hésitent à mettre de côté leur vie de maman (ou leur vie professionnelle) pour répondre aux standards de leurs entreprises ?

De s’écouter, et de ne renoncer ni à l’une ni à l’autre si elles le peuvent. C’est encore mal vu en France, nous sommes en retard comparé à d’autres pays, dans lesquels par exemple les entreprises proposent des systèmes de garde des enfants sur les lieux de travail, afin que les mères puissent aller allaiter/nourrir/interagir avec leurs enfants quand elles le souhaitent.

Si vous avez la possibilité d’avoir le soutien de votre famille, de vos proches dans ces choix, c’est toujours un plus. Car c’est tellement épuisant de devoir s’affirmer jour après jour, qu’il n’est rien de plus précieux que le soutien.

 

Ce qu’on peut te souhaiter …

Que cela continue ! Que j’arrive à trouver un poste qui me permette de concilier tous mes choix. Mais cela viendra, je ne m’en fais plus maintenant.

 

charlotte

 

Merci beaucoup Charlotte d’avoir partagé avec nous ce « combat » pour pouvoir allier ta vie de maman avec ta carrière, combat qui, au 21ème siècle, ne devrait plus en être un … Bravo d’avoir su résister et imposer ton point de vue !

 

Et vous qui nous lisez, quelles batailles avez-vous eu à affronter à l’arrivée de vos enfants ? Comment y êtes-vous parvenus et que cela vous a-t’il apporté ? Venez partager vous aussi votre expérience : laissez un commentaire 😉 !

 

Bises,

Céline.